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Les salariés rémunérés au salaire minimum : une minorité le reste durablement

Lors des rendez-vous de Grenelle du jeudi 14 mars 2018, Selma Mahfouz, directrice de la Dares, a présenté un focus sur les trajectoires des salariés au SMIC.

Entre 1995 et 2015, environ 11 % des salariés étaient chaque année rémunérés au voisinage du salaire minimum. Les salariés les plus jeunes, ainsi que les femmes, sont plus souvent concernés.

La majorité des salariés qui ont connu un épisode au Smic sur la période n’y sont cependant restés que de façon transitoire : les deux-tiers des périodes passées au salaire minimum n’ont duré qu’une seule année au plus. Les épisodes de Smic les plus longs se concentrent ainsi sur une part minoritaire de salariés, qui restent durablement rémunérés à ce niveau : en moyenne chaque année, seuls 2 % des salariés sont rémunérés au salaire minimum depuis au moins deux ans. Cette situation est un peu plus prégnante chez les seniors : une fois au Smic, le risque de se maintenir durablement autour de ce niveau de rémunération se fait davantage sentir après 50 ans.

Un salarié sur dix est rémunéré au voisinage du salaire minimum

Entre 1995 et 2015, la proportion de salariés à bas salaires (c’est-à-dire avec un salaire horaire inférieur à 1,1 fois le salaire minimum en vigueur) est restée relativement stable, oscillant autour de 11 % de l’ensemble des salariés sur la période (graphique 1). La proportion maximale a été atteinte en 1999 (13 %), suivie d’une baisse au début des années 2000. Cette évolution est à mettre au compte de la mise en œuvre progressive des 35 heures entre 1998 et 2005, qui a été accompagnée par une croissance rapide de la rémunération des travailleurs concernés par le salaire minimum afin d’assurer le maintien de leur salaire mensuel lors du passage à 35 heures.
Comme pour les bas salaires, la structure globale des rémunérations a été relativement stable sur la période 1995-2015. La moitié des salariés est ainsi rémunérée à un salaire inférieur à 1,6 fois le salaire minimum, alors qu’un quart d’entre eux a un salaire supérieur à 2 fois le salaire minimum.

Les faibles rémunérations sont plus fréquentes pour les salariés les plus jeunes

Les salariés les plus jeunes sont plus souvent rémunérés au voisinage du salaire minimum (graphique 2) : autour de 20 ans, un salarié sur quatre a ainsi un salaire proche du salaire minimum, contre un sur six à 25 ans et un sur dix à trente ans.
Après 30 ans, la proportion de salariés rémunérés au voisinage du salaire minimum ne décroît plus que très légèrement, pour atteindre environ 7 à 8 % juste avant 60 ans. Cette plus forte proportion de faibles rémunérations chez les salariés les plus jeunes peut s’expliquer par la progression salariale au fil de la carrière, mais aussi par un effet de composition : les salariés les plus jeunes sont sortis du système scolaire plus tôt, avec la plupart du temps un niveau de qualification moindre et des salaires en moyenne moins élevés.
Les femmes ont plus souvent des salaires proches du SMIC que les hommes : en moyenne, entre 1995 et 2015, 15 % d’entre elles étaient rémunérées au voisinage du salaire minimum, contre 9 % des hommes. Les salaires au voisinage du salaire minimum sont également plus fréquents dans les entreprises les plus petites, ainsi que dans les secteurs du commerce et des transports.

Près de la moitié des salariés au salaire minimum n’y sont plus l’année suivante

L’analyse des variations salariales d’une année sur l’autre permet de dégager deux tendances majeures (graphique 3) :

  • Une forte stabilité des trajectoires pour la majorité des salariés : plus des deux tiers d’entre eux restent dans la même tranche de rémunération d’une année sur l’autre ;
  • Pour les autres, une relative progression salariale : parmi les salariés qui changent de tranche de rémunération, la grande majorité (environ 60 %) passent en effet dans la tranche supérieure.

La tendance de progression salariale est particulièrement marquée pour les salariés initialement rémunérés autour
du salaire minimum : l’année suivante, près de la moitié d’entre eux ont un salaire supérieur à 1,1 fois le salaire
minimum. 15 % ont même un salaire supérieur à 1,3 fois le salaire minimum.

Les deux-tiers des périodes passées au salaire minimum ne durent qu’un an ou moins

La longueur des périodes passées à un niveau de rémunération proche du salaire minimum est courte pour leur très grande majorité. Si l’on se concentre sur les épisodes passés au voisinage du salaire minimum – c’est-à-dire les intervalles de temps caractérisés, pour les individus observés sur la période 1995-2015, par une ou plusieurs années consécutives aux alentours du SMIC –, les deux tiers d’entre eux n’ont duré qu’une seule année au plus (graphique 4). Moins de 10 % des périodes rémunérées au salaire minimum durent plus de trois ans.

Les épisodes salariaux caractérisés par une proximité avec le SMIC sur une longue période sont ainsi minoritaires, mais ils se concentrent sur une partie des salariés qui restent durablement rémunérés à ce niveau, traduisant l’existence d’un phénomène de stagnation autour du salaire minimum. On constate en effet que la probabilité de rester une année supplémentaire au voisinage du salaire minimum augmente avec le temps déjà passé à ce niveau de rémunération. Une personne ayant passé cinq ans avec une rémunération proche du salaire minimum a ainsi une chance sur trois seulement d’atteindre un niveau de rémunération supérieur l’année suivante, contre une chance sur deux pour une personne rémunérée au salaire minimum depuis seulement trois ans.

En moyenne, chaque année entre 1995 et 2015, autour de 4 % des salariés sont rémunérés au salaire minimum depuis au moins un an et 2 % depuis au moins deux ans (graphique 5). Cela représente respectivement 45 et 20 % des salariés rémunérés au voisinage du salaire minimum, avec des proportions stables sur la période 1995-2015. Les femmes et les salariés plus âgés sont plus souvent concernés par ces épisodes longs que les autres, ce qui semble indiquer une sensibilité plus importante au phénomène de stagnation autour du salaire minimum pour ces deux catégories. C’est particulièrement le cas pour les seniors : une année passée au SMIC après 50 ans conduit à un risque plus fort d’« enfermement » du reste de la trajectoire salariale à ce niveau, que lorsqu’elle a lieu plus jeune.

Parole d’expert : Andrea Garnero, économiste du marché du travail à l’OCDE

Le SMIC est fréquemment l’objet de vifs débats en France. Toutefois, on se contente trop souvent d’une analyse statique de son niveau une année donnée sans regarder le rôle que le salaire minimum joue sur l’ensemble de la vie professionnelle. L’analyse de ce dossier est donc une contribution très précieuse qui devrait être au centre de la discussion 50 ans après l’introduction du SMIC.
Si depuis 20 ans la proportion de salariés au salaire minimum en France est restée relativement stable (autour de 11 % parmi l’ensemble des salariés), ce chiffre cache une mobilité importante : près de la moitié des salariés au salaire minimum n’y sont plus l’année suivante et moins de 10 % des périodes rémunérées au salaire minimum durent plus de trois ans. Cette analyse est cohérente avec ce que l’on observe dans d’autres pays de l’OCDE : des études pour le Royaume-Uni, par exemple, montrent des résultats qui vont dans le même sens. En outre, si on regarde les pays de l’OCDE, la présence d’un salaire minimum joue un rôle significatif pour ce qui est de réduire les inégalités de salaire annuel une année donnée, mais il a un impact négligeable sur les inégalités globales au cours de la vie professionnelle. De fait, si l’on cumule l’ensemble des revenus d’une vie, c’est surtout la mobilité salariale (en haut et en bas) qui joue un rôle égalisateur entre les individus.
En revanche, ce dossier fait aussi ressortir une moins bonne nouvelle : les perspectives de mobilité salariale s’amenuisent rapidement après la première année. Cet effet de trappe est particulièrement fort pour les femmes, les seniors et les salariés d’entreprises de petite taille, qui sont souvent - en France comme ailleurs - parmi les groupes les plus vulnérables. Le défi est à présent de comprendre les déterminants de ces trappes et d’engager des politiques appropriées. Pour promouvoir la mobilité des bas salaires, il parait essentiel de regarder au-delà du SMIC et de renforcer le rôle de la négociation collective dans la définition des normes salariales, particulièrement dans le contexte actuel de restructuration et de réduction du nombre des branches. Mais il faudra aussi mobiliser d’autres outils à partir d’une amélioration de l’efficacité et de la couverture de la formation professionnelle, d’un accès facilité aux informations sur les emplois vacants et d’une facilitation de la mobilité géographique.