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Le licenciement des salariés protégés

Processus et enjeux

Cette étude, issue d’une enquête qualitative, analyse, dans une perspective sociologique et juridique, les processus et les enjeux des licenciements de salariés dits « protégés ».

Le licenciement ou le transfert d’un salarié protégé ne peut pas avoir lieu sans l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail. Cette étude, issue d’une enquête qualitative, analyse, dans une perspective sociologique et juridique, les processus et les enjeux des licenciements de salariés dits « protégés ».
Les demandes de licenciements de représentants du personnel motivées par des raisons économiques ou par l’inaptitude du salarié sont plus souvent autorisées par les inspecteurs du travail. Lorsque le motif avancé est économique, il apparaît souvent, pour les protagonistes, comme une contrainte exogène, objective ; un consensus peut alors se dégager quant à l’inéluctabilité d’un licenciement d’autant mieux accepté qu’il est assorti de mesures d’accompagnement, notamment de dispositifs de préretraite. Suivant cette même logique, les licenciements pour inaptitude au poste peuvent également faire l’objet d’une acceptation consensuelle.
Cependant, ces motifs de licenciement se révèlent aussi n’être parfois que des « habillages juridiques » qui permettent,notamment par une utilisation dévoyée de la règle de droit, de sortir de situations conflictuelles particulièrement bloquées.

Par ailleurs, deux conceptions opposées du rôle des représentants des salariés se dégagent de l’analyse du discours des salariés protégés et des employeurs interviewés.

La première renvoie à une relation antagoniste entre salariés et direction. Le mandat représente, au sens sociologique du terme, les intérêts collectifs de l’ensemble des salariés. Cette conception du mandat se fonde sur un sentiment d’inégalité et d’injustice et s’accompagne souvent d’un engagement politique et syndical. C’est sur cette représentation que s’est bâtie la jurisprudence : les droits dont bénéficient les salariés protégés sont liés aux fonctions qu’ils exercent et non à la personne qui occupe le mandat.

La seconde conception du mandat ressort d’une vision du monde valorisant l’individu et la communauté d’intérêts entre salariés et entreprise. Si le représentant des salariés, se conçoit comme le défenseur d’intérêts collectifs, il se réfère cependant, à un collectif de proximité (le groupe professionnel) plutôt qu’à l’ensemble des salariés, et il inscrit son action dans un rapport de coopération avec l’employeur. La recherche de valorisation personnelle peut aussi accompagner cette deuxième conception du mandat que l’on retrouve dans des contextes caractérisés par des formes managériales plus individualisées, chez des salariés plutôt jeunes, diplômés et non syndiqués. En l’absence de références collectives et d’une gestion formalisée du personnel, l’investissement individuel et la personnalisation des relations chef/salarié fragilisent la position du salarié protégé. Dans les petites entreprises en particulier, la confusion des registres personnels et affectifs expose très fortement les individus à des situations conflictuelles.
Le risque de banalisation du statut juridique et social du salarié protégé est alors important dans un contexte d’individualisation croissante de la relation de travail. Cette banalisation du statut juridique et social du salarié protégé explique en partie que les droits qui y sont liés puissent, dans l’analyse des pratiques, être perçus et mobilisés comme une protection plus personnelle que fonctionnelle.

Ces différentes conceptions et pratiques du mandat expliquent les diverses configurations conflictuelles à l’origine des cas de licenciements étudiés. Les situations déclenchant le conflit sont en effet marquées et vécues très différemment selon le positionnement du salarié protégé par rapport à l’entreprise. Les enjeux du conflit peuvent aller de la simple défense de droits liés aux positions et statuts (première conception du mandat), à la remise en cause de l’identité professionnelle et sociale de l’individu (deuxième conception du mandat). En fonction de ces enjeux, les moyens utilisés par le salarié protégé iront de la mobilisation de soutiens collectifs à une utilisation des ressources juridiques pour un usage individuel.

Dans le processus de licenciement, l’intervention de tiers institutionnels, dont la principale figure est l’inspecteur du travail, peut jouer un rôle central dans les situations les plus conflictuelles. Chargé de rechercher si un lien existe entre le licenciement projeté et le mandat du salarié protégé, il est également le garant du respect de la procédure dont l’enquête contradictoire constitue une phase clé. Elle permet et, le cas échéant, de rétablir un équilibre dans le litige opposant l’employeur et le salarié. La décision de l’inspecteur va permettre une restitution juridique dont la motivation constitue la traduction du passage des faits au droit. Toutefois, la dimension subjective n’est pas absente d’une décision qui est aussi le reflet d’une certaine représentation, par l’inspecteur du travail, de ses missions mais qui est également fonction de sa connaissance de l’entreprise.

Dans les situations particulièrement conflictuelles et bloquées, les licenciements peuvent prendre des tournures pathologiques. Dès lors, l’action de l’inspecteur et du médecin du travail participe à la construction d’une sortie de crise. Celle-ci peut passer par une distorsion de la règle de droit. Soit parce que l’on recourt à une déclaration d’inaptitude dans des situations qui, au plan de l’analyse juridique, ne la justifient pas ; soit parce que les salariés s’appuient sur leur statut de représentant pour négocier leur retrait de l’entreprise et, parfois, dans le même temps, des conditions de licenciement plus avantageuses. Dans les deux cas, l’autorisation des inspecteurs s’explique par leur souci de ne pas prolonger des situations critiques qui peuvent être très éprouvantes pour les salariés.