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Les métiers en 2015

Le rapport sur « Les métiers en 2015 » s’inscrit dans la lignée des travaux réalisés depuis 1997 par le groupe « Prospective des métiers et qualifications ». Lancé par Claude Seibel, alors président du groupe, ce document constitue l’achèvement d’un cycle de travaux.

Les principaux résultats

Un ralentissement de la population active, qui peut faciliter la baisse du chômage à court terme...

L’arrivée en fin de carrière des générations nombreuses nées entre 1945 et 1975 devrait profondément modifier le fonctionnement du marché du travail.
Mais ces transformations ne seront peut-être pas aussi spectaculaires que ce que l’on pouvait croire il y a encore quelques années. Il n’y aura pas de baisse de la population active (la population en emploi ou à la recherche d’un emploi), pas même à long terme si l’on retient les hypothèses du  scénario central de projections rendu public par l’INSEE en juillet 2006 (Coudin, 2006). Il n’y aura pas non plus de pénurie générale de main-d’œuvre et il existera encore des ressources sous-utilisées du côté des chômeurs, des femmes, des jeunes et des seniors.

Les transformations proviendront essentiellement de la diminution rapide de la croissance de la population active, liée à l’accélération des départs en fin de carrière. Ce ralentissement peut faciliter la baisse du chômage à court terme, mais ne permet pas de résorber les déséquilibres locaux,  quantitatifs et qualitatifs, entre offre et demande de travail. 

La croissance des départs en fin de carrière se traduira par une hausse des postes à pourvoir et donc par des entrées plus nombreuses dans un nombre important d’entreprises. La population active étant dorénavant stable, le nombre moyen de personnes susceptibles de se présenter sur un poste de travail devrait diminuer.

... mais aussi favoriser l’apparition de difficultés de recrutement dans certains métiers et certains bassins d’emplois

Ces mécanismes se traduiraient par l’apparition de difficultés de recrutement, c’est-à-dire par un allongement du temps nécessaire pour finaliser un recrutement. 

Mais ces difficultés de recrutement ne seraient pas généralisées. Elles resteraient circonscrites à certains métiers : les métiers de cadres «  polycompétents », les métiers fonctionnant comme des marchés professionnels où les personnes peuvent facilement passer d’une entreprise à l’autre, et les métiers d’aides et de soins aux personnes fragiles. Elles devraient aussi perdurer au sein des métiers où les conditions de travail et les faibles perspectives professionnelles conduisent les salariés en place à préférer exercer d’autres activités.

Ces difficultés pourraient apparaître sur certains bassins d’emploi, notamment les zones métropolitaines à très forte croissance et les zones  résidentielles qui ne sauront pas attirer et retenir leur main-d’œuvre.

Ces difficultés de recrutement ont peu de chances d’engendrer des tensions salariales, sauf sur les marchés professionnels formant un « vrai » marché dans lequel les salaires peuvent jouer un rôle d’ajustement. Par contre, elles pourraient mettre en danger la pérennité de certaines petites entreprises et limiter la croissance des moyennes.

Des marges de manœuvre différentes d’une entreprise et d’un territoire à l’autre

Dans les plus grandes entreprises et dans la fonction publique, ces tensions pourraient se traduire par une relance des carrières internes et  éventuellement, par un moindre déclassement à l’embauche. Pour les postes les plus qualifiés, elles pourraient aussi se traduire par un maintien accru en emploi des seniors.

En retour, ces grandes entreprises et la fonction publique pourraient devenir encore plus attractives, ce qui renforcerait les mécanismes de fuite des entreprises et des métiers les moins attractifs, en termes de salaires, de conditions de travail et de perspectives d’évolution professionnelle, et donc les difficultés structurelles de recrutement que connaissent certains secteurs.

Au final, les difficultés de recrutement ne concerneraient pas nécessairement les métiers, les secteurs, ou les entreprises où les départs des  générations du baby-boom seront les plus importants, ni même forcément les métiers ou les secteurs les plus créateurs d’emploi à l’avenir. C’est la capacité des employeurs, notamment des PME, à dégager des marges de manœuvre pour attirer et fidéliser les actifs qui facilitera ou au contraire rendra plus difficile les recrutements. De même, la capacité des territoires à créer une dynamique économique et sociale susceptible d’attirer les actifs et les activités sera déterminante.

Des pratiques de recrutement qui évoluent lentement

Une des raisons de l’émergence de ces difficultés de recrutement est la sélectivité des comportements d’embauche : certains métiers restent, dans les faits, réservés aux femmes, d’autres aux hommes. De surcroît, les recruteurs français formulent des exigences beaucoup plus fortes que leurs homologues européens en matière de diplôme, d’expérience et d’âge. 

Une autre raison de l’émergence de tensions provient des transformations techniques et organisationnelles qui conduisent de nombreuses  entreprises à réclamer des salariés immédiatement opérationnels, que ce soit pour des postes peu qualifiés de très courte durée ou au contraire pour des postes réclamant des compétences multiples. Ces exigences proviennent des difficultés à construire des espaces d’accueil et d’apprentissage  pour les nouveaux arrivants. Les transferts de compétences en interne peuvent aussi, de ce fait, être difficiles à organiser.

Ces comportements d’embauche des entreprises trouvent leurs racines dans l’organisation du travail et dans les relations qu’entretient chaque unité de travail avec son environnement. Ces pratiques évoluent très lentement et sont en partie contraintes, car elles dépendent des règles et des usages au sein et autour de l’entreprise.

Des mobilités professionnelles très inégalitaires

Ces transformations du marché du travail conduiront vraisemblablement à une augmentation marquée des mobilités professionnelles, soit internes par la relance de perspectives de promotion, soit externes par l’ouverture de nouvelles opportunités. Mais celles-ci se feraient spontanément à l’avantage des plus qualifiés, les mieux armés pour entreprendre et réussir une mobilité professionnelle. À l’inverse, rien ne garantit que les actifs les plus éloignés de l’emploi ou les territoires les plus frappés par le chômage verraient leur situation s’améliorer. Des situations de chômage important pourraient ainsi coexister avec des difficultés de recrutement.

Pour un accompagnement des entreprises et des personnes

Les politiques publiques pourraient jouer un rôle important en construisant le cadre d’une meilleure orientation professionnelle à différents âges de la vie, qu’il s’agisse de l’orientation des jeunes en cours d’études et à la sortie du système éducatif, ou de l’accompagnement des demandeurs  l’emploi sur le marché du travail. Elles pourraient aussi intervenir dans le cadre d’actions globales visant, de manière conjointe, à développer l’emploi dans un secteur ou pour une catégorie de population, et à améliorer les conditions d’accès et de maintien dans ces emplois, notamment en  favorisant de meilleures conditions de travail et le développement de perspectives d’évolution professionnelle : tel est le sens, par exemple, du plan de développement des services à la personne et du plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors.

Mais la diversité des situations, d’un métier à l’autre, d’un secteur à l’autre, d’un bassin d’emploi à l’autre, ne permettra pas de construire des solutions globales applicables partout. C’est donc aussi dans l’environnement immédiat de l’entreprise, par la coordination des acteurs intermédiaires  (branches, territoires, service public de l’emploi) que pourront s’élaborer de nouvelles règles d’ajustement sur le marché du travail. Ces actions peuvent permettre de construire un cadre où les entreprises et les personnes tireront profit des transformations à venir.

Ces actions coordonnées devraient viser, dans le même temps, l’accompagnement renforcé des entreprises, notamment des PME, dans une meilleure anticipation des difficultés qu’elles pourraient rencontrer dans les années qui viennent, et l’accompagnement des personnes dans les différentes mobilités. Deux objectifs complémentaires pourraient ainsi être poursuivis :

  • pour les personnes, il ne s’agit pas tant de favoriser la mobilité tous azimuts que d’accompagner les mobilités professionnelles, en limitant autant que possible les mobilités contraintes et en favorisant les mobilités qualifiantes, les seules à même de conférer une capacité de choix professionnel aux actifs ;
  • pour les entreprises, il s’agit de faire évoluer les pratiques de recrutement et les organisations du travail en leur fournissant les ressources et les outils en gestion des ressources humaines leur permettant à moyen terme d’assurer la pérennité et le développement de leur activité.

En se centrant sur les préoccupations du terrain et en coordonnant leurs actions à travers un diagnostic partagé, ce réseau d’acteurs pourrait construire un projet global, favorisant, au niveau de leur territoire, la cohésion sociale et le développement économique.