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Salaire minimum interprofessionnel de croissance - rapport 2015

Conformément à la loi du 3 décembre 2008, le nouveau groupe d’experts indépendants nommé en mai 2013 livre ici son analyse du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et son avis sur son évolution.

Comme dans les années précédentes, ce rapport du groupe d'experts sur le SMIC s'intéresse non seulement à la conjoncture  économique et celle du marché du travail mais tente d'approfondir les relations entre le SMIC et certains aspects plus structurels de notre économie et de notre société. Cette réflexion se base sur l'examen de documents publiés en France et à l'étranger sur la question du salaire minimum ainsi que sur des études spécifiques commandées aux administrations publiques. Elle est guidée par les interrogations qui surgissent à l'occasion des discussions internes au groupe et dans le dialogue qu'il entretient avec les partenaires sociaux. Au fur et à mesure, le groupe espère ainsi améliorer les connaissances dont on dispose pour piloter au mieux le dispositif du salaire minimum.

Outre la conjoncture économique et le suivi du SMIC par rapport aux autres références salariales en France, abordés en fin de conclusion, les points saillants de ce rapport 2015 sont les suivants. Selon les comparaisons internationales permises par les enquêtes sur les compétences des adultes (PIAAC) la France se caractérise par une dispersion plus grande que la moyenne des
compétences, et en particulier des performances plus faibles des moins compétents. Par ailleurs, la distribution salariale apparaît moins inégalitaire, et donc plus resserrée, en France que dans la grande majorité des pays avancés, notamment dans sa partie basse. Cette double constatation fait donc apparaître à la fois de forts besoins en acquisition de compétences mais dans le même temps de faibles incitations salariales à cette acquisition. Le groupe d'experts souhaite que cette apparente contradiction soit analysée en profondeur, notamment par des études des trajectoires salariales au niveau du SMIC, ou des niveaux proches, et des analyses des recours pour les salariés concernés à la formation professionnelle. 

Les comparaisons internationales de niveau relatif du salaire minimum par rapport au salaire médian, ou encore du coût total du travail au salaire minimum et au salaire médian, placent toujours la France dans le groupe de tête des pays de l'OCDE disposant  d'une législation de salaire minimum sur le premier critère et légèrement au-dessus de la moyenne sur le second. On prévoit que l'Allemagne se situera un peu en dessous des deux moyennes lorsque la législation du salaire minimum y sera intégralement  appliquée. En revanche, des modifications sont attendues du côté britannique. Le National Minimum Wage se transformera en un National Living Wage, plus élevé, pour les plus de 25 ans dès 2016. Mais le gouvernement a aussi annoncé vouloir se rapprocher  d'une norme de salaire minimum à 60 % du salaire médian à l'horizon de 2020, soit très légèrement moins qu'en France aujourd'hui. Il réformerait en même temps le système redistributif, opérant donc une sorte de substitution entre prestations sociales et salaire minimum. Réapparait ainsi la question centrale du salaire minimum comme norme salariale ou instrument de redistribution,  question dont le groupe d'experts juge qu'elle est primordiale également en France et que des études approfondies sont nécessaires pour y répondre.

Le débat sur les conséquences d'une hausse du SMIC pour les entreprises a tendance à ignorer l'hétérogénéité de la sensibilité de  ces dernières à une telle hausse. Les études réalisées pour ce rapport en révèlent l'importance en montrant comment la proportion de salariés rémunérés au SMIC ou à un niveau proche est associée à des tailles, des secteurs d'activité, des intensités capitalistiques différentes des entreprises. Deux conclusions importantes émanent de ces études. L'une est que les entreprises de tout niveau de  rentabilité sont exposées au SMIC. Les plus exposées ne sont pas plus ou moins rentables, et les plus rentables ne sont pas plus ou moins exposées. L'autre conclusion est que, en moyenne, la compétitivité des entreprises confrontées à la concurrence étrangère, principalement les entreprises industrielles, est peu affectée par une hausse du SMIC. La raison en est qu'elles emploient peu de salariés au SMIC ou un niveau un peu supérieur. Mais il en va de même de leur emploi indirect à travers les intrants qu'elles achètent aux autres secteurs de l'économie. 

Cette constatation sur la moyenne des entreprises exposées à la concurrence étrangère est cependant à moduler selon les secteurs d'activité. Cette conclusion tend à relativiser les effets d'une hausse du SMIC sur la compétitivité de l'économie française, du moins lorsqu'elle reste limitée. En revanche, l'effet négatif sur l'emploi dans les entreprises fortement exposées au SMIC - et généralement abritées de la concurrence étrangère - peut être substantiel. Les comparaisons entre entreprises en un point donné du temps ne renseignent pas sur l'importance de cet effet. 

Deux autres études commandées pour ce rapport s'intéressent aux salariés rémunérés au SMIC plutôt qu'à leurs employeurs. Dans quelle mesure une rémunération au SMIC entraînait-elle des conditions de travail et des conditions de vie différentes par rapport à une rémunération un peu supérieure au SMIC ou par rapport à la moyenne des salariés ?  S'agissant des conditions de travail, les salariés au SMIC apparaissent peu différents des autres bas salaires, en dehors du salaire lui-même bien sûr. Leurs conditions sont avant tout celles des secteurs et occupations à bas salaires et elles sont clairement désavantageuses par rapport à des postes mieux rémunérés. Pour ce qui est des conditions de vie, la conclusion dominante est celle de l'hétérogénéité de la situation des personnes rémunérées aux alentours du SMIC. Celle-ci dépend essentiellement de la quotité de travail, de l'activité et de la rémunération d'autres membres du ménage, et de la taille et composition de celui-ci. Ainsi, les plus défavorisés vivent notamment dans des ménages salariés dont l'un des membres du couple touche sur une année moins que le SMIC plein temps. Leur salaire peut  représenter moins de la moitié de leur revenu, complété par des prestations sociales. Les plus favorisés vivent avec un salarié rémunéré au-dessus du SMIC et peu de prestations. Cette étude illustre donc à nouveau le rôle essentiellement ambigu d'une  hausse du SMIC comme instrument de redistribution, ambiguïté soulignée dans des rapports précédents. 

La principale conclusion qui se dégage de ces diverses études est effectivement ce rôle ambigu du SMIC : il améliore les conditions de vie de ménages pauvres mais aussi de ménages plutôt à l'aise et redistribue de façon peu efficace ; il n'affecte peut-être pas trop la compétitivité extérieure de l'économie mais il peut nuire à l'emploi ; il permet un resserrement de la distribution des salaires mais il peut cacher des déficits de compétence. De telles conclusions ne permettent certes pas d'émettre un avis sur le niveau  souhaitable du SMIC. La recommandation que le groupe d'experts doit adresser au gouvernement ne peut donc se baser que sur la conjoncture économique et l'évolution récente du SMIC par rapport à l'ensemble des salaires.

Après trois années de stagnation ou quasi-stagnation, la situation économique est en amélioration et l'on peut s'en réjouir. Mais, avec une croissance anticipée légèrement supérieure à 1 % pour les deux années qui viennent, il n'est pas envisageable que l'emploi marchand retrouve son niveau d'avant-crise à cet horizon. Même si le chômage tend à se stabiliser, le futur reste encore très incertain. Ce n'est pas le moment d'ajouter à l'incertitude en cherchant à accélérer dès à présent la hausse des salaires. Il se trouve par ailleurs que la croissance du SMIC est restée très proche de celle du salaire moyen sur ces trois dernières années. Dans ces conditions, s'en tenir à l'indexation légale du SMIC sur l'inflation et les indices salariaux semble le plus raisonnable.

La Dares est rapporteur du groupe de travail des experts SMIC.

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