Publication

Revue Travail et Emploi - Varia - N°137 (2014)

Une journée d’étude intitulée « Les restructurations, contestations et expériences », autour de la parution des numéros 137 et 138 de la revue Travail et emploi a été organisée le vendredi 12 décembre 2014, à l’Amphithéâtre Durkheim-Sorbonne, Paris : la rediffusion vidéo de la journée d’étude est accessible en cliquant ici. Les vidéos et le montage ont été réalisés par Géraldine Berger (Film d’Un Jour).

 

Sommaire

Introduction. Contester et résister aux restructurations. Comment s’opposer à la "fatalité du marché" ?

Anne Bory, Sophie Pochic

Nicolas Verschueren

Parcourant vingt-cinq ans de l’histoire industrielle de Wallonie, cet article offre une analyse des contre-propositions industrielles portées par les collectifs ouvriers lors des restructurations qui affectent leur secteur d’activité entre 1959 et 1984. Après, ou à côté de, l’opposition à la fermeture de leur lieu de travail, ils se sont inspirés de l’émergence ou de l’absence de nouveaux paradigmes économiques pour proposer leurs solutions originales de reclassement. Les notions de répartition économique régionale, de post-industrialisation, de tertiarisation, d’entrepreneuriat et d’économie de marché se trouvent réappropriées par les collectifs ouvriers pour formuler d’autres scénarii de reconversion, plus ou moins réalistes.

Mots-clés : restructuration, post-industrialisation, reclassement professionnel, reconversion, classe ouvrière, Wallonie

Workers’ strategies and industrial restructurings in Wallonia from 1959 to 1984. Reconversion options and economic paradigms

Nicolas Verschueren

Looking at twenty-five years of industrial history in Wallonia, this article provides an analysis of workers’ strategies during an industrial restructuring period that spans from 1959 to 1984. Beyond their opposition to the closure of their factory, workers developed strategies aiming to overcome this upsetting event and formulate their own reemployment alternatives. These strategies rest upon a blurry interpretation of economic paradigms which epitomized the restructuring context in its historical dimension. Notions such as balanced regional economic growth, postindustrial society, service economy, entrepreneurship and free market economy were claimed by these dismissed workers and considered as a way out of the restructuring crisis in the industrial or manufacturing sector.

Keywords : restructuring, postindustrialisation, reconversion, working class, Wallonia, workers’ strategies, industrial redeployment, closing factories

JEL : G34, M51

Vincent Gay

La phase de restructurations dans l’industrie automobile à la fin des années 1970 et au début des années 1980 se traduit par une diminution massive des emplois les moins qualifiés. À l’usine Talbot de Poissy, la direction procède à des licenciements massifs, particulièrement en 1983, provoquant une grève d’un mois. Alors que le point de départ de celle-ci est le refus des licenciements, la défense de l’emploi et la survie de l’usine, l’épuisement de ces revendications conduit une partie des ouvriers spécialisés (OS) immigrés, premiers concernés par les licenciements, à réclamer une aide au retour dans leurs pays d’origine. Surgissant au milieu du conflit, cette demande oblige les différents protagonistes à se repositionner. Si les organisations syndicales sont, à des degrés divers, mal à l’aise avec une telle revendication, qui apparaît comme un renoncement à la lutte pour l’emploi, elles finissent pourtant par l’accepter. Le gouvernement de son côté y voit une opportunité ouvrant la voie à un nouveau dispositif d’aide au retour des travailleurs immigrés.

Mots-clés : immigration, travailleurs immigrés, industrie automobile, restructurations industrielles, licenciements, syndicalisme, conflits sociaux, grève, Talbot, État, aide à la réinsertion, politiques d’immigration

Fighting to leave or to stay ? Migrant workers, dismissals and financial assistance to go back to their native countries during the Talbot dispute, 1983-1984

Vincent Gay

In the late seventies and early eigthies, the restructuring of the car industry brought about a significant decrease in the number of unskilled jobs. When the Board of directors of the Talbot site, in Poissy near Paris, laid off several workers in 1983, a one-month strike started to defend the factory and to oppose the dismissals. But as these claims remained unmet, some of the unskilled migrant workers, the first to be threatened by dismissals, called for financial assistance to go back to their countries. Arising in the middle of the conflict, this new demand forced the strikers to take new positions. If union members were uncomfortable with this claim, which they viewed as a renunciation to fight for employment, they ended up accepting it. As to the government, it considered it as an opportunity, creating a new regime to help migrant workers to go back to their countries of origin.

Keywords : immigration, migrant workers, car industry, industrial restructurings, dismissals, trade unionism, labor disputes, strike, Talbot, State, reintegration assistance program, policies of immigration

JEL : J52, L62, J6, M51, G34

Pascal Depoorter, Nathalie Frigul

Cet article étudie l’un des mouvements sociaux les plus emblématiques de l’année 2009, qui s’est déroulé dans l’Oise à l’usine Continental. À partir d’une recherche encore en cours, les auteurs essayent d’appréhender les façons dont cette lutte sociale s’est construite et s’est radicalisée. Dans un premier temps, ils la resituent dans l’histoire de l’usine, des conflits antérieurs, et examinent les conditions de l’annonce de la fermeture. Ensuite, les auteurs s’intéressent aux modalités et aux moyens donnés à la lutte en se centrant sur les acteurs du mouvement. Ils analysent ainsi les éléments les plus marquants d’une critique sociale et des formes de politisation qu’elle engage. Enfin, ils tentent de saisir les ressorts de la mobilisation collective qui reposent sur un double registre, matériel et symbolique : indemnisation financière de la perte d’emploi et de salaire et réparation de la violence sociale subie à la suite d’une fermeture qui a été vécue sur le mode de l’injustice.

Mots-clés : lutte sociale, économie morale, syndicats, mobilisation, restructuration, politisation du conflit

What are the Conti the name of ? Radicalisation of social struggles and financial restructurings

Pascal Depoorter, Nathalie Frigul

This paper examines one of the most iconic social movements of 2009 that took place in the Oise county at the Continental factory. Using the results of a still ongoing research, the authors try to understand the ways in which this social struggle has been built and radicalized. First they situate this struggle in the history of the factory and previous conflicts, and examine the conditions of the announcement of its closure. Then, the authors concentrate on the ways and means given to the fight by focusing on the actors of the movement. The goal here is to show the most expressive elements of the social critique and its forms of politicization. Finally they try to grasp the motivation of the collective mobilization which is based on a double register, both material and symbolic : financial compensation for the loss of employments and wages, and the reparation for the violence of a closure that has been experienced as an injustice.

Keywords : social struggle, moral economy, trade unions, mobilization, restructuring, politicization of the conflict

JEL : G34, J51, J52, L65, M51

Mara Bisignano

En Italie, la régulation des restructurations d’entreprises est définie par un cadre réglementaire fixant les modalités de sa gestion. Le système normatif prévoit notamment la possibilité de recourir au chômage partiel afin de gérer des mutations conjoncturelles ou structurelles. Ce dispositif est alors l’instrument direct et indirect de négociation de l’emploi. L’article propose une analyse des stratégies d’utilisation du chômage partiel mises en œuvre par les syndicats au niveau de l’entreprise. À partir de deux monographies d’établissements du secteur de l’électroménager, l’article interroge les registres d’action et de justification mobilisés par les acteurs sur le rôle à attribuer au chômage partiel, ainsi que les conséquences individuelles pour les salariés. Selon que l’acteur syndical utilise le dispositif pour privilégier les sorties du marché du travail ou les sorties sur le marché du travail afin de contester, retarder ou limiter les licenciements, le chômage partiel produit des effets que l’on peut qualifier de « sas » ou « d’amortisseur ».

Mots-clés : restructuration, chômage partiel, système de relations professionnelles, Italie, action syndicale

Contesting, delaying or preventing lay-offs thanks to partial unemployment ? Unions’ uses of the Cassa Integrazione Guadagni in Italy

Mara Bisignano

In Italy, the regulation system of company restructuring is defined by a legal framework determining its application. The Italian normative system gives the possibility of using partial unemployment in order to manage cyclical or structural changes. This measure thus becomes the direct and indirect instrument for collective bargaining on employment. The article offers an analysis of unions’ strategies from this point of view. Using two case studies on companies belonging to the household appliance sector, it highlights the role given to partial unemployment by the actors, considering more particularly their means of action and how they justify its use. Depending on whether it is used as a tool to secure employment or as a means for external mobility, in order to contest, delay or limit lay-offs, a “buffer” or “airlock” effect can emerge from unions’ practices.

Keywords : restructuring, partial unemployment, industrial relations system, Italy, trade union action

JEL : G34, M51, J38, J52, L68

Mathieu Hocquelet

Cet article s’appuie sur l’analyse des mutations en cours du travail, de l’emploi et du syndicalisme au sein et autour des magasins du géant de la grande distribution Walmart, aux États-Unis. Alors que l’entreprise connaît d’importantes transformations techniques et organisationnelles depuis le milieu des années 2000, on assiste à une montée de la critique sociale qui nous invite à interroger conjointement la nature des mutations du travail au sein des magasins et les registres de contestation dans cette multinationale de services dont la main-d’œuvre dans les grandes aires urbaines est essentiellement peu rémunérée et féminine. Cet article repose principalement sur une série d’entretiens de salariés des magasins et de syndicalistes du secteur ainsi que sur des observations in situ de réunions et manifestations menées par ces derniers. Par une approche diachronique, il souligne les dimensions organisationnelles et institutionnelles de la difficile émergence de formes de contestation dans une entreprise qui, en un demi-siècle, est parvenue à tenir en échec toutes les tentatives de syndicalisation de sa main-d’œuvre. La crise économique de 2008 semble être paradoxalement un facteur favorable à la contestation, via l’arrivée de nouveaux profils de travailleurs et la relance de campagnes offensives de syndicalisation se nourrissant du mécontentement social envers les multinationales et la finance.

Mots-clés : grande distribution, syndicat, mobilisations, Our Walmart, États-Unis, restructurations, crise

Global retail and local mobilizations. Walmart employees facing organizational restructuring

Mathieu Hocquelet

This article is based on the analysis of ongoing mutations of work, employment and trade unionism in and around the US Walmart stores. While the global corporation has been experiencing significant technical and organizational transformations since the middle of the 2000s, rising criticism invites us to question both the nature of mutations of work in the stores and the different types of protest in a global service firm whose workforce is mainly made up of low paid women. This article is based on a series of interviews with employees, organizers, activists and union members as well as on in situ observations of meetings and walkouts organized by unions and associations. Through a diachronic approach, it emphasizes the organizational and institutional dimensions of the difficult emergence of protests in a firm that in half a century has come to thwart all the attempts at unionization of its workforce. Paradoxically, the 2008 economic downturn appears to be a favorable factor to the mobilization of the employees through the introduction of new profiles of workers and a series of new offensive organizing campaigns fuelled by social discontent against finance and corporations.

Keywords : retail, union, mobilizations, Our Walmart, United States, restructuring, crisis

JEL : G34, M51, J52, L81

Chœurs de fondeurs  : interpellations créatives et mises en mémoire

Judith Hayem

L’article examine comment, après s’être mobilisés contre la fermeture brutale de leur usine – qui eut lieu sans plan social ni dépollution du site – les ex-salariés de Metaleurop ont continué à la contester au sein de l’association Chœurs de fondeurs. Issue d’une intersyndicale, l’association fut créée immédiatement après la fermeture. Elle fut ralliée d’emblée et de manière durable par la quasi-totalité des 830 salariés. Certains de ses membres ont entrepris de rétablir la parole des ouvriers sur ce qui avait eu lieu et de questionner, mettre en garde et proposer des alternatives aux délocalisations, en s’appuyant sur des créations artistiques. S’inspirant de la notion de « partage du sensible » chez Rancière, l’auteure qualifie cette pratique d’interpellations créatives et montre qu’elle est soutenue par une subjectivité égalitaire mais séquentielle. L’enquête sur la longue durée (2005-2010) montre en effet que les interpellations s’interrompent avec le retour des rapports hiérarchiques au sein de l’association qui se tourne alors vers des pratiques mémorielles plus classiques.

Mots-clés : Fermeture, délocalisation, lutte, création artistique, interpellation, association

Chœurs de fondeurs  : practice creative calling outs and remembering processes

Judith Hayem

This paper studies how former Metaleurop employees kept on protesting against the violent shutting down of their factory –without the company getting rid of pollution or organizing redundancy plan– within an association called Chœurs de fondeurs. Coming out of an interunion, it was created just after the shutdown and was joined straight away by most of the 830 former employees. By using artistic creations, they meant to restore workers’ words about the situation and to question, warn and suggest alternatives to relocations. Drawing on Ranciere’s “distribution of the sensible”, the author calls this practice creative calling outs ; they are supported by an egalitarian subjectivity that does not last. Long lasting fieldwork (2005-2010) shows that creative calling outs stop when hierarchical relationships reappear in the association. The latter then turns towards more usual memory practices.

Keywords : shutdown, relocation, struggle, artistic creation, association

JEL : G34, M51, J51, J52, D71, L61

Maria Voichiţa Grecu

« Nous avons démarré la restructuration du secteur minier et obtenu en quelques mois ce que d’autres pays ont réalisé en plusieurs dizaines d’années. » Ces mots, prononcés par le chef du gouvernement roumain en décembre 1997, évaluent quantitativement le succès des départs volontaires avec incitation financière qui se sont soldés, dans le cas du bassin de la Vallée du Jiu, par une réduction des effectifs des mines de 39 % en moins de trois mois. L’article revient sur cet événement et le resitue dans l’histoire longue des restructurations qui se sont succédé jusqu’en 2013. Il dégage des pistes d’interprétation, avec des variations d’échelle et une perspective longitudinale, pour expliquer pourquoi les mineurs ont accepté les plans de départs collectifs et comment cela a affecté, objectivement comme subjectivement, le groupe social que composent les mineurs. L’objectif de l’article est ainsi double : il s’engage dans le débat sur la part de l’« héritage » du socialisme d’État dans les transformations qu’a subies la condition ouvrière après 1989 et analyse les recompositions identitaires du groupe des mineurs sous l’angle de l’évolution de ses rapports au travail.

Mots-clés : mine de charbon, classe ouvrière, postsocialisme, restructurations, départs volontaires, appartenance, déracinement, valeur du travail, Roumanie

“We remained the foam of the trade.” The impact of industrial restructurings on Jiu Valley coal miners (Romania), 1997-2013

Maria Voichiţa Grecu

“We started the restructuring of the mining sector and have accomplished within a few months what took several decades for other countries to complete.” These words, pronounced by the Romanian prime minister in December 1997, evaluate quantitatively the success of buy-outs which led, in less than three months, to a reduction of 39 % of the workforce in the Jiu Valley mining industry. This article analyzes this event by placing it in the context of the following buy-outs until 2013. It offers new interpretations, combining various levels of analysis and a longitudinal perspective, in order to explain the miners’ consent to voluntary redundancies and the way restructuring affected, objectively and subjectively, the miners’ social group. The aim of this paper is twofold. On the one hand, it elaborates on the importance of the legacy of state socialism in the transformations of labor after 1989. On the other hand, it examines ongoing identity transformations in relation to the meanings and values attached to work.

Keywords : coal mine, working class, postsocialism, restructuring, voluntary redundancies, sense of belonging, dislocation, work value, Romania

JEL : G34, M51, L71

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