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Quelles sont les conditions de travail qui contribuent le plus aux difficultés de recrutement dans le secteur privé ?

71 % des employeurs interrogés dans le cadre de l’enquête Conditions de travail 2019 signalent avoir eu des difficultés à recruter sur des postes vacants au cours de l’année écoulée.

Ces problèmes sont le plus souvent attribués à une pénurie de personnel qualifié, mais le rôle des conditions de travail apparaît lui aussi important.

Ainsi, les employeurs qui signalent que leurs salariés sont exposés à des conditions de travail difficiles sont plus nombreux (85 %) à connaître des difficultés de recrutement. Les horaires atypiques ou imprévisibles ainsi que la difficulté à pouvoir faire un travail de qualité sont parmi les expositions professionnelles les plus associées aux difficultés de recrutement.

Sur les difficultés de recrutement (graphiques 1, 2 et 3 du Dares Analyses)

Les employeurs peuvent cocher plusieurs causes à leurs difficultés de recrutement. Pour les graphiques 1, 2 et 3, en cas de réponses multiples, on privilégie une réponse particulière selon l’ordre de priorité suivant : conditions de travail jugées difficiles, salaire insuffisamment attractif, pénurie de personnes qualifiées pour ce type de poste, autre motif. Autrement dit, les difficultés de recrutement sont (de façon conventionnelle) attribuées aux conditions de travail si l’employeur cite cette cause (« des conditions de travail jugées difficiles ») ; au salaire s’il évoque cette cause (« le salaire que vous proposiez n’était pas suffisamment attractif ») sans citer les conditions de travail ; à une pénurie de personnel qualifié s’il évoque cette cause (une « pénurie de personnes qualifiées pour le type de poste ») sans citer ni le salaire ni les conditions de travail ; et enfin à un « autre motif » s’il ne cite aucune des trois causes précédentes.

Sur l’exposition aux contraintes physiques et aux risques psychosociaux (graphiques 5 et 7)

Un établissement est considéré comme exposant « très faiblement » (resp. « très fortement ») ses salariés aux contraintes physiques quand il appartient au 1er (resp. 4e) quartile de la distribution de l’indicateur synthétique de contraintes physiques. Sept facteurs sont pris en compte : « charges lourdes », « agents chimiques dangereux », « travail à la chaîne, travail répétitif », « températures extrêmes », « bruit supérieur à 85 dB », « travail de nuit », « travail en équipes alternantes ». Pour chacun d’entre eux, une variable indicatrice est constituée : elle vaut 1 si plus de 10 % de salariés sont exposés dans l’établissement, 0 sinon. L’indicateur synthétique correspond à la somme de ces variables sur les sept contraintes physiques retenues.
L’indicateur d’exposition aux risques psychosociaux est élaboré de manière similaire en considérant les huit situations suivantes : « travailler dans l’urgence », « le sentiment de ne pas pouvoir faire un travail de qualité », « tensions entre collègues », « tensions avec la hiérarchie », « tensions avec le public, la clientèle », « crainte de se retrouver au chômage », « horaires imprévisibles », « charge de travail trop importante ».

En 2019, 71 % des employeurs répondent avoir eu des difficultés à recruter « au cours de l’année écoulée » d’après l’enquête Conditions de travail 2019. D’après l’enquête Conjoncture de l’Insee, en 2019, 50 % des entreprises de l’industrie, 70 % des entreprises du bâtiment et 38 % des entreprises des services (pondérées par les effectifs) signalaient des difficultés de recrutement actuelles.

Parmi les « barrières à l’embauche » évoquées, la plus fréquemment citée dans l’enquête de conjoncture est l’indisponibilité d’une main-d’œuvre compétente, comme c’est le cas dans l’enquête Conditions de travail 2019 (« pénurie de personnels qualifiés »).

Avec l’amélioration de la conjoncture économique à la fin des années 2010, ces difficultés de recrutement se sont accentuées. La proportion d’établissements concernés est passée de 41 % lors de l’enquête Conditions de travail 2013 à 71 % en 2019. Selon l’enquête de conjoncture dans l’industrie, les difficultés « actuelles » de recrutement ont, elles aussi, augmenté (de 27 % à 50 %). Selon l’enquête de Pôle Emploi sur les « Besoins de main-d’œuvre », 50 % des projets de recrutement étaient jugés « difficiles » par les employeurs en 2019, contre 32 % en 2015. En contrepartie, pour les salariés, l’insécurité sur le marché du travail a reculé. Selon les enquêtes Conditions de travail, la proportion de salariés « craignant pour leur emploi dans l‘année à venir » a baissé de 24 % en 2016 à 20 % en 2019 ; symétriquement, 40 % des salariés pensaient en 2016 que s’ils perdaient leur emploi actuel, il leur serait « facile de trouver un emploi avec un salaire similaire », contre 47 % en 2019.

L’analyse économétrique (de type logistique, tableau A) met en évidence les caractéristiques des établissements qui sont associées aux difficultés de recrutement, au-delà de l’orientation de l’activité (à la hausse ou non), de la taille, de la composition de sa main-d'œuvre (par catégorie professionnelle la plus représentée) et des conditions de travail :

  • Le mode de l’organisation de l’entreprise : les établissements appartenant à des groupes, d’autant plus qu’ils sont cotés en Bourse, ont relativement moins de difficultés de recrutement. À l’inverse, les établissements preneurs d’ordre (pour une part supérieure à 25 % du chiffre d’affaires) ont davantage de difficultés. Les difficultés de recrutement sont plus importantes dans les établissements qui ont connu d’intenses changements organisationnels1 , qui réalisent des entretiens individuels d’évaluation pour tous les salariés, ou qui pilotent à l’aide d’au moins trois indicateurs de performance opérationnelle, et d’autant plus que ces indicateurs ont un horizon de court terme (inférieur à 1 an). Les difficultés importantes de recrutement sont davantage associées à des dépenses de plus de 2 % de la masse salariale en formation. Plusieurs de ces facteurs (changements organisationnels, entretiens d’évaluation individuels, indicateurs de performance multiples et de court terme, politiques intenses de formation) évoquent des contextes de qualifications élevées et de fortes pressions organisationnelles en vue de performances économiques et financières de court terme.
  • Les politiques de prévention : réaliser des actions de prévention diversifiées (plan de prévention, actualisation du document d’évaluation des risques, modification de l’organisation du travail ou des locaux, formation et recours à des experts…) est corrélé à des difficultés de recrutement, sans doute parce que les politiques de prévention sont plus intenses quand l’activité de l’entreprise comporte plus de risques pour la santé.
  • Le télétravail (quand il concerne plus de 15 % des salariés de l’établissement) est associé à de moindres difficultés de recrutement, mais uniquement pour les motifs liés aux conditions de travail ou aux salaires (ainsi que pour les « autres motifs »).
  • Enfin, l’insatisfaction salariale (reflétée par le sentiment du salarié selon lequel « compte tenu du travail que je réalise, je dirais que je suis plutôt mal payé ») n’est associée à un surcroît de difficultés de recrutement que pour les motifs liés au salaire et aux conditions de travail ; elle n’est pas corrélée avec les difficultés de recrutement toutes causes confondues.

Tableau A : Difficultés de recrutement selon la cause (logit)

  • 1Ils figurent parmi les 25 % d’établissements ayant le plus introduit d’innovations organisationnelles au cours des 3 dernières années parmi une liste de 13 incluant certification qualité, progiciels de gestion intégrée, outils de traçabilité, réseau social d’entreprise, etc.