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De l’atelier à la cuisine chez les céramistes : arrangements de couple et inégalités de genre dans un métier indépendant « égalitariste »

Article du n°161 de la revue Travail et Emploi

L'article propose de réfléchir aux rapports sociaux de sexe dans le métier de céramiste d’art.

Dans l’espace du travail indépendant, la répartition des tâches domestiques et professionnelles entre les conjoint·es est généralement étudiée dans des métiers animés d’un certain conservatisme, ou dans lesquels l’engagement professionnel des femmes est une adaptation à un projet de couple. Cet article propose de réfléchir aux rapports sociaux de sexe dans le métier de céramiste d’art, qui offre une configuration très différente : fortement féminisé, structuré par une culture se voulant égalitariste, dont les membres le choisissent au nom d’une volonté d’accomplissement personnel. Ils et elles sont doté·es de dispositions cultivées et se revendiquent d’une culture politique de gauche. Dès lors, comment expliquer la faible présence des acquis féministes dans les modes de vie et de travail de ces travailleur·ses indépendant·es ? Après avoir dessiné les contours démographiques du métier et de sa culture professionnelle, le texte expose les inégalités qui se déploient au sein des foyers où la céramique d’art est exercée par l’un des conjoints, ou les deux. Nous montrons comment des enjeux matériels et symboliques produisent diverses formes d’invisibilisation du travail de la femme céramiste, au sein de l’unité domestique comme de la sphère professionnelle. Enfin, nous proposons des analyses explicatives de ces inégalités de genre, a priori paradoxales dans un espace social vécu comme une alternative à d’autres formes de domination.

Mots-clés : inégalités de genre, travail domestique, sale boulot, féminisation, couple, égalitarisme, féminisme, travail indépendant

From the Studio to the Kitchen of French Ceramicists: Arrangements and Gender Inequalities in a Self-Employed and “Egalitarian” Occupation

In self-employed activities, the division of domestic and professional tasks between partners is usually studied in occupations with a certain degree of conservatism, or in which women’s careers are actually an adaptation to their couple’s project. This article reflects on gender relations within the occupational group of art ceramicists, which offers quite a different situation: not only is it strongly feminized, but it is also organized according to principles intended to be egalitarian. Besides, its members are endowed with cultivated dispositions, claim a left-wing political culture, and choose ceramics out of a desire of self-fulfillment. How, then, can we explain the limited effects of feminist achievements in the lifestyles and work of these self-employed workers? After drawing the demographic contours of this occupation and its culture, the article outlines the inequalities that exist within households, where either one or both spouses practise(s) ceramics. We then show how material and symbolic dimensions generate diverse forms of invisibility of women’s work, both within the domestic unit and the professional sphere. Finally, we provide some explanations regarding the persistence of these gender inequalities, which seem paradoxical in an occupation that is seen as an alternative to other forms of domination.

Keywords: gender inequalities, domestic work, dirty work, feminization, couple, egalitarianism, femi- nism, self-employment
JEL: J16, J23
 

REVUE TRAVAIL ET EMPLOI N°161